• - Fangoria N°383

     Traduction de l'interview de Richard par William Bibbiani dans le magazine Fangoria #383 de septembre 2015

     Crédit photos ©@NBCHannibal, @BryanFuller@lorettaramos@neoprod

     

    Traduction par Jolie Pensée et Translator Girl

     

       

    Un grand merci à Anna Sofia pour son autorisation de partager ses scans. A huge thanks to Anna Sofia for her authorisation to share her scans. 

     

    Un enfant très timide

    Joué par Richard Armitage, Francis Dolarhyde est aussi tragique qu’il est sauvage. 

     

    Pour un enfant non désiré, élevé par une grand-mère abusive dans une maison pour les personnes âgées, cerné par la mort et dissimulé à cause de sa difformité faciale, Francis Dolarhyde revient de loin. 

    Sujet du second roman de Thomas Harris 'Le Dragon Rouge', il embobine les lecteurs avec la psyché terrifiante d'un tueur en série qui espionne des familles, pénètre dans leurs maisons et les transforme en 'cadavres aux yeux-miroirs' capables de le voir, et même de l'aimer. Il a inspiré, non pas un, mais deux films 'Manhunter' de Michael Mann (1986) et 'Dragon Rouge' de Brett Ratner (2002), incarné par deux bons acteurs, Tom Noonan et Ralph Fiennes.

    Et maintenant, Francis Dolarhyde, alias The Tooth Fairy (un nom qu'il déteste), alias The Great Red Dragon (il aime celui ci), revient dans la série acclamée Hannibal, dans laquelle 6 épisodes lui sont consacrés, à la fin de la saison. Joué par Richard Armitage, acteur dans la trilogie du Hobbit de Peter Jackson. Dolarhyde est plus présent à l'écran qu'auparavant pour mieux nous terrifier et nous envoûter. Hannibal dépeint la folie particulière de Dolarhyde en détail, une responsabilité qui n'est pas passée inaperçue pour Armitage qui a tenu un journal personnel décrivant l'état d'esprit du Dragon Rouge. Fangoria a discuté très longuement avec Armitage sur ce qui fait avancer Dolarhyde, comment il est revenu à la vie une fois encore et pourquoi, après toutes ces années, nous l'aimons tellement.

     

    F: Francis Dolarhyde est un personnage qui est connu depuis plus de 30 ans maintenant. Il nous fascine toujours et on essaye de le cerner. A votre avis, qui ou qu'est Dolarhyde ?

    RA: Mon Dieu, c'est une vaste question ! Je n'avais pas réalisé que cela faisait 30 ans, c'est fascinant. Ce qui m’a intrigué, quand j’ai lu le livre, c’est tout ce qui m’avait attiré vers ce personnage
    et toutes les réactions que les gens m’ont rapportées à son sujet : des deux films précédents, l’air choqué des gens quand vous leur dites que c’est le rôle que vous allez jouer mais aussi l’étude du livre pour découvrir le genre de profil psychologique que Thomas Harris a dressé pour le personnage.
     C'est exactement ce qui m'intrigue dans tout mon travail parce que je suis un adulte dans la moitié de la quarantaine et j'ai tendance à jouer des personnages ayant à peu près le même âge que moi et qui ont une profonde conscience de qui ils sont de par la manière dont ils ont été éduqués, ou de l'environnement dans lequel ils ont grandi. Thomas Harris a construit avec le personnage quelque chose de fascinant qui n'est ni une excuse, ni une explication : ça vous montre juste le chemin que cet homme a emprunté et comment il arrive à ce moment là avec un esprit et un corps qu'il ne comprend pas et n'aime pas forcément. Il tente de changer et d'évoluer. Je le vois comme quelqu'un qui essaye de muer physiquement mais aussi psychologiquement.

     

    F: Il a toujours été question de transformation chez Dolarhyde, mais en quoi se transforme-t-il ? Quand on le voit dans la première scène, il semble être au plus mal, très démoralisé, avant qu'il ne découvre l'oeuvre de William Blake. 



    RA: Oui, c'est encore quelque chose qui m'a fasciné parce que j'ai l'impression de me sentir concerné dans une certaine mesure. J'ai probablement passé plus de temps dans ma vie à m'analyser un peu, à être insatisfait de moi, à regarder les autres à travers moi-même, à m'observer à travers les autres. 
    Je pense que c'est pourquoi je suis acteur. J'ai saisi cela à travers ce personnage. En un sens, j’ai saisi cela à travers le personnage dont l’éveil arrive très tard dans sa vie. J'ai l'impression que ce qu'il est essentiellement, il le doit aux autres personnes, au fait d'avoir été abandonné par sa mère, mis en orphelinat pour être adopté par une famille qui l'a méprisé, d'avoir été ridiculisé, injurié.

    Tout ce qu'il a appris sur lui-même, il l'a reçu de son environnement, et ça a été largement négatif. Alors l'adulte que vous voyez est plus un enfant emprisonné dans un corps d'adulte, c'est quelqu'un qui n'a pas vraiment quitté l'enfance. Dans son esprit, il est toujours dans sa jeunesse torturée. Il n'a pas été capable de s'en échapper, même si son corps a grandi. C'est un petit drame intrinsèque qui se déroule à l'intérieur de lui. Il veut devenir un homme, mais il ne peut pas parce qu'il ne vit pas dans le même genre de société que nous.

     

    F: On décrit souvent des personnes qu'on pense être des monstres comme étant une conséquence d'abus, comme si ça justifiait tout, mais ce qu'on peut voir chez Dolarhyde, c'est qu'il est comme ça parce qu'il a dû apprendre à vivre en étant abusé. Il ne réagit pas aux stimuli habituels des personnes dites normales.

    RA: Oui et d'une certaine façon, je crois que l’adaptation et la survie en sont la clé, de la même manière qu'un cafard peut survivre quand vous l'écrasez parce que les cafards sont les anathèmes des
    gens (1). Les gens essayent de les tuer, alors ils ont évolué à travers les années et se sont, en quelque sorte, blindés. Je pense que Dolarhyde est dans le même genre de monde musclé. Je ne veux pas dire physiquement, bien que ce soit vrai pour lui. Il y a une étrange dichotomie (scission) entre sa résistance et sa fragilité. C'est ce qui le rend extrêmement fascinant. Il y a un terrible, terrible enfant fragile dans ce physique d'homme blindé. D'une certaine manière - alors que son corps devient plus puissant – il devient plus fort et plus musclé, et c'est sa propre création. Il protège l'enfant fragile et l'autorise presque à vivre sans cette armure que représente finalement le dragon. Mais, je ne sais pas s'il est conscient de cela comme je le suis. Je connais ça de lui parce que j'ai étudié ce côté. J'ai l'impression qu'il vit dans un monde de sensualité pas vraiment logique.

     

    F: Pensez-vous que Dolarhyde a une idée, d'un point de vue extérieur, de ce qu'il fait, ou est-il si seul qu'aucune autre perspective ne l'affecte ?

    RA: Pour être honnête, je ne sais pas s'il a une idée de sa place dans le monde, je pense qu'il est trop seul. Il ne regarde pas la télé, il n'est pas connecté aux réseaux sociaux. La seule chose qu'il connaisse vraiment est le travail qu'il fait dans le laboratoire de développement de films et les images de films qu'il examine religieusement. Je crois qu'il rentre chez lui tous les soirs et étudie et étudie ces images. Il fait partie des spectateurs de la vie. D'une certaine manière, il vit par procuration à travers chaque morceau de pellicule qu'il regarde.

    Il regarde des familles, il regarde des gens. Tout ce qu'il voit sur les films est en quelque sorte une vie qu'il ne vivra jamais. Je pense que, dans un sens, les crimes - les étapes qui mènent à ces crimes – le représentent ouvrant cette porte et volant quelque chose pour lui-même. Mais c'est étrange, il y a quelque chose d'artistique dans ce qu'il fait. C'est quelque chose que Thomas Harris décrit de façon très intéressante. La première fois qu'il s'installe pour regarder les images - je pense que c'est les meurtres qu'il a commis à Leeds - il est décrit comme étant très mécontent du manque de talent artistique avec lequel il a filmé et combien il est dégoûté de lui-même et de la manière dont le film est monté. Ce n'est pas aussi beau ou divin que ce dont il avait rêvé, et c'est, en fait, plutôt basique et dégoûtant. Il a conscience de ça, et c'est pourquoi il recommence à le faire à nouveau, mais en essayant de le faire mieux. C’est difficile d’arriver à le décrire parce que je le vois comme quelqu'un qui essaye d'atteindre une illumination, mais à travers une route sombre. C'est assez perturbant, vraiment.

     

    F: Pensez-vous qu'il veut cette famille, ou pensez-vous que la violence vient du fait qu'il en veut aux autres d'avoir ce qu'il n'a pas, ou n'a jamais eu ?

    RA: Non, je ne pense pas qu'il veuille détruire quelque chose intentionnellement, en fait. Je pense qu'il le vole pour lui-même. Il vole le sang de la vie qu'il veut. Il désire avoir un contact physique. Il y a un éveil sexuel en lui, mais il ne sait pas comment avoir cela avec un être humain vivant qui respire, parce qu'il vit vraiment dans un monde de mort. Son premier éveil sexuel dans le livre est décrit en rapport avec  l'abattage de poulets et Harris restitue très nettement cela pour nous, donc ça semble approprié. Mais c'est associé à la violence, comme le fait que sa grand-mère tienne une énorme paire de ciseaux au-dessus de ses parties génitales, menaçant de les couper, et sa manière à lui d'exprimer son amour pour elle en la surveillant au milieu de la nuit avec une hache ... C'est un amour authentique. Ce n'est pas une sorte de cruauté, c'est un enfant qui ne comprend pas la différence entre la vie et la mort. Vivre dans une maison remplie de personnes qui sont proches de la mort - cette maison de vieilles personnes décrépites qui ont été ses camarades de jeu pendant presque toute son enfance- fait qu'il a un tel manque de compréhension de la jeunesse et de la vie. Alors quand son éveil sexuel arrive, c'est associé à de terribles choses. J'ai l'impression que tous, dans un sens, nous suivons un chemin toute notre vie qui est programmé en nous très, très tôt, comme celui qui nous mène à ce que nous sommes en tant qu’être sexuel, à n'en pas douter.

     

    F: Un des éléments les plus tragiques de l’histoire de Dolarhyde est que dans sa vie apparaît Reba McClane et vous comprenez que la rédemption, ou en tout cas le droit chemin, était juste là, si seulement il avait pu attendre. Pensez-vous que c’est ce qu’il ressent ou a-t-il l’impression que l’amour de quelqu’un comme Reba lui tombe dessus à cause du Grand Dragon Rouge ?


    RA: C’est intéressant, parce que j’ai l’impression qu’il n’a aucun point de référence sur ce qu’est l’amour et de quoi ça a l’air. Alors quand il la rencontre, c’est une situation particulière. Il n’a jamais été en présence d’une femme en vie. Quiconque peut le voir, il se met alors dans l’ombre et s'en éloigne. Et cette fille aveugle est quelqu’un avec qui, pour la première fois dans sa vie, il se sent bien. Il n’y a pas de point de référence et dans un sens, c’est son émancipation, la route qui l’amène à se transformer, qui lui donne la force d’avancer qui fait que s’il l’avait rencontrée un an avant, il n’aurait probablement pas été capable de le faire.

    Mais je sens que la vraie compréhension est en lui quand il arrive au moment où il doit faire le choix de la donner au dragon ou la garder pour lui, c’est là qu’il est le plus lucide de toute l’histoire. Alors qu’avant ça, il avait été guidé par ses sentiments et une certaine naïveté. A ce moment, il est en possession de tous ses moyens. C’est un véritable éveil de conscience et une réflexion de lui-même, et c’est presque à ce moment précis que l’esprit schizophrène se scinde vraiment en deux et que le dragon devient quelque chose totalement hors de lui.

     

    F: Quand j’ai parlé avec Bryan Fuller, il était très impressionné par votre incorporation de mouvement ressemblant à une chorégraphie pour Dolarhyde. Pouvez-vous m’en dire plus ?

    RA : C’est venu d’une ligne du roman, quand Harris décrit une manière stylisée de bouger face à la caméra dans la maison du meurtre. Il le décrit comme un danseur balinais (2). Je regardais ceci, je regardais cela et je prenais conscience de ce qu’ Harris pensait peut-être, et à mes yeux, ça avait une sorte de douceur kitsch et mignonne qui ne me plaisait pas. Mais je savais que ce côté stylistique allait m’intéresser. Je viens d’étudier le Butoh (3) qui est une forme de danse japonaise. C’est comme une étude biologique du corps à travers la musique et le mouvement, et certains sont très courts. Le corps est peint en blanc. C’est souvent associé à la mort, à l’anxiété et à l’agonie. C’est comme regarder son corps au moment de la mort. Je pensais que ce serait parfait pour Dolarhyde, parce que vous voyez vraiment tous les os du corps, mais vous voyez aussi le corps évoluer. C’est éreintant, très intense, c’est musculaire et sexuel aussi et je sentais que toutes ces choses apporteraient quelque chose au personnage et le rendrait hors du commun. Parce que la plupart du temps, ce qui lui arrive n’est pas une représentation (ndlt : au sens artistique), il est seul dans sa chambre, il est seul dans sa maison, donc il ne le fait pas pour quelqu’ un d’autre. C’est juste une chose sensuelle qui coule dans son corps, c’est kafkaien en un sens. Pour moi, c’est comme une métamorphose. (4)

     

    F: J’ai entendu dire que vous teniez un journal comme Francis Dolarhyde

    RA: Oui, je l’ai fait...

     

    F: Pouvez-vous me dire ce que représentait ce journal pour vous et combien y en a –t-il ?

    RA: Oui, ça prenait des formes variées. J’écrivais d’après le roman, pour commencer. C’était essentiellement un stylo, du papier et un cahier , comme un journal classique, et je notais juste dessus des grandes citations. Je les prenais toujours du roman. Mes écrits étaient très brouillons vers la fin du tournage parce que je n’arrêtais pas d’y revenir. Mais après, j’ai laissé couler librement et j’ai essayé de trouver les pensées derrière les actions qu’ Harris faisait vivre au personnage. C’était toutes sortes de choses. J’écoutais beaucoup de musique, j’avais fait une playlist et j’ai tiré un grand album de photographies. Certaines étaient réelles, concrètes, d’autres étaient très abstraites. Au début, avant que je n’étudie vraiment le personnage, c’était des choses aléatoires, et curieusement à mi-parcours, il s’est passé quelque chose et j’ai repris mes photos et j’ai pensé 'Ah c’est ce moment où… c’était cette petite scène '. Il y a également eu une image dans le petit trailer (celui de la saison 3 d’Hannibal) où l’on voit le tatouage dans son dos. J’ai pensé à plein d’images comme la torture médiévale et la corseterie, une espèce de serrage de corps avec du cuir, du fer, du métal, et du coup, certaines images avaient l’air d’emballer le corps comme le tatouage. C’est intéressant de voir comme tout cela est devenu subliminal. C’était presque comme écrire une sorte de personnage subconscient.

     

    F: Maintenant que vous avez incarné ce personnage, qu’est-ce qui, chez Dolarhyde, est foncièrement effrayant et qui fait qu’on parle encore de lui et qu’on le ramène à la vie des années plus tard ?


    RA: Je pense que la chose la plus effrayante chez lui - certainement en tant que personnage qui a été complètement ou partiellement dans son esprit - est que vous tombez un peu amoureux de lui. Vous voyez quelle vie tragique il a, et vous lui souhaitez le meilleur malgré les horribles choses qu’il a faites et vous voulez qu’il s’en débarrasse. Vous voulez qu’il émerge du bon côté et d’une certaine façon, c’est exactement là que se trouve Will Graham.

    Il voit que l’homme peut se racheter, qu’il y a une chance de rédemption, et Hannibal ressent le contraire, il a envie de le pousser vers les ténèbres. Ce que je trouve certainement fascinant chez Dolarhyde, c'était que je ne l’ai jamais vu comme un mauvais garçon. Je l’ai regardé comme une âme très très torturée, assez terrifiante, qui est tombée amoureuse d’une femme, je pense.

     

    Notes des traductrices :

    (1) Richard utilise le mot 'anathème' dans le sens où les cafards sont la bête noire des gens.

    (2) Les chorégraphies des danses traditionnelles de Bali (le Legong) sont faites de mouvements et positions précises des mains, des doigts et du visage. 

    (3) Le Butoh (ou butō) est une danse japonaise née dans les années 60 en réaction aux traumatismes de la seconde guerre mondiale particulièrement aux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. Elle se caractérise par sa lenteur, sa poésie et son minimalisme. Qualifiée de subversif, le butō se danse souvent totalement nu, le corps peint en blanc et le crâne rasé. Le butō est plus un concept qu’une danse à proprement parler, c’est une forme d’expression de ses sentiments par le mouvement. Chaque mouvement par sa lenteur ou son geste est une écriture de son état. La performance du butō relève des mouvements pas toujours naturels qu’on impose à son corps.

    (4) Ici, Richard fait référence à la métamorphose de Kafka. Le personnage principal se réveille un matin métamorphosé en horrible insecte. Sa famille l’enferme afin qu’il ne soit pas à la vue des autres et le rejettent. Son père essaiera aussi de le tuer à plusieurs reprises. De nombreuses interprétations en ont été faites, du traitement des juifs pendant la seconde guerre mondiale, à la relation que Kafka a eue avec son propre père, au rejet de personnes différentes. On dit qu’une situation est kafkaienne quand elle tombe dans l’absurde ou l’illogisme qu’affectionnait Kafka (particulièrement dans ' Le procès ')

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  • Commentaires

    1
    Mardi 27 Octobre 2015 à 18:51

    merci pour la traduction et l'article ! Je suis toujours ébahie par tout le travail en amont de Richard c'est un boulot monstre (heu sans jeu de mots) il a cette capacité à étudier analyser le personnage jusqu'à créer un journal comme il l'a fait pour Thorin me semble t-il ! Vraiment un acteur de haut niveau, sans jamais en avoir douté bien évidemment mais toujours admirative de ce qu'il fait !

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