• Rédemption

    Jolie Pensée a écrit un magnifique texte "Rédemption" qui lui a été inspiré par l'émotion ressentie lors de la pièce The Crucible.  

    Un grand merci à elle pour ce beau partage.

     

    A travers la petite fenêtre dont la vue était floutée par les poussières entremêlées de farine et de suie, il vit les dernières lueurs du soir disparaître derrière le champ de maïs. D’un revers de la main, à l’aide du bout de la manche de sa vieille chemise élimée par les travaux de la ferme, il essuya la vitre et vit le ciel passer brusquement d’une couleur rosée à un violine irisé par les quelques nuages qui s’étiraient le long de la voûte céleste.

    Le Massachusetts au printemps est d’une pure beauté, quand les arbres en fleurs exhibent leurs couleurs pastel et leurs petits bourgeons pointus, prémices des feuilles qui les habilleront de vert tout l’été.

    Il poussa un long soupir de lassitude, une mélancolie l’étreignait jusqu’au plus profond de ses entrailles. Ce n’était pas le temps froid et incertain qui le mettait dans cet état mais plutôt le poids de ses regrets, pesant sur son dos comme les énormes sacs de blé qu’il traine à longueur de journée. Lui, trainait ses regrets, ses remords, ses péchés et sa culpabilité… et quand il levait les yeux au ciel, ce qu’il voyait briller, ce n’était pas le scintillement de la première étoile de la nuit, mais la lame tranchante de l’épée de Damoclès prête à tomber au premier faux pas.

    A l’étage, il lui sembla entendre la voix d’Elizabeth qui berçait les enfants pour les endormir. Il ne pouvait pas vivre, la voir, l’entendre sans que lui revînt le souvenir de ses fautes. Son regard semblait percer son âme, dans sa voix résonnait l’aigreur de la femme trompée. Tout en elle lui renvoyait constamment l’image de l’adultère.

    L’image du corps nu d’Abigail lui revint à l’esprit. Sa peau laiteuse, souple et douce, son regard de braise, ses lèvres roses qui venaient mordiller les siennes. Ses grandes mains calleuses avaient tant étreint ce corps qui venait juste de sortir de l’adolescence. Il lui semblait même qu’il pouvait encore sentir l’odeur de la paille dans laquelle il l’avait couchée et la chaleur animale des bêtes qui somnolaient dans l’étable. Puis un jour, alors qu’il se laissait aller dans les bras de la jeune femme, il vit apparaître les yeux pleins de furie d’Elizabeth. Elle avait vu cela ! Son corps qui venait tout juste de sortir des douleurs de l’enfantement et de la maladie se voyait maintenant infligé une autre souffrance, la pire de toutes. Son mari, son propre mari, venait de sacrifier la dignité de son épouse sur l’autel de la luxure dans les bras d’une trainée.

    Honte à toi John Proctor ! répéta-t-il en son for intérieur. Elle te donne de magnifiques enfants et offre à ton nom la continuité et c’est ainsi que tu lui montres ta reconnaissance… Que Dieu me pardonne

    RédemptionIl retira sa vieille chemise et trempa les mains dans la bassine qu’Elizabeth avait préparée pour sa toilette. Il s’aspergea le visage. La fraîcheur de l’eau le saisit mais sembla lui rafraîchir l’esprit. 

    Honte à toi, honte à toi !

    Ses mains portaient encore les traces d’Abigail même si cela faisait des mois qu’il ne l’avait pas revue. Il frotta ses mains consciencieusement pour qu’elles perdent la mémoire de leurs ébats. Puis il frotta ses bras qu’elle avait caressés, il ne voulait plus se souvenir du contact de ses fines mains sur sa peau d’homme. Il frotta ses épaules encore et encore. Ses épaules qu’elle avait embrassées, autour desquelles elle avait mis ses bras. Pars d’ici, laisse-moi vivre en paix, Seigneur pardonnez-moi. Elizabeth pardonne-moi.

    Une étrange clarté sembla illuminer l’eau. Etait-ce la lumière d’un paysan qui venait de passer dehors avec sa lampe ou était-ce la lumière divine ? Dieu venait-il de l’entendre, était-il en train de libérer son âme du fardeau de son péché ?

    « Je veux être un autre homme »

    La bassine eut des allures de fonts baptismaux. Il s’aspergea le visage une dernière fois. Dieu venait-il de bénir l’eau ? Un nouveau John Proctor venait d’être baptisé.

    Mais que vaut le pardon du Tout-puissant face au pardon d’Elizabeth ? Que vaut son repentir face à la douleur éternelle d’une femme trahie ? Que vaut le pardon d’une femme si elle n’oublie jamais et que son cœur saigne ?

     

    Jolie pensée – Août 2014

    Photo © RichardArmitageBulgaria

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:53
    April73

    J'ai lu ce magnifique texte sur Behind Blue Eyes et je m'incline devant le talent de Jolie pensée. happy

    J'aime beaucoup la photo qui l'accompagne. Elle est bien tirée de la pièce "The Crucible" ? Je pose la question car lors de la scène de la toilette, il est torse nu et là, on le voit habillé.

    2
    Laure75
    Vendredi 29 Août 2014 à 17:24

    Merci beaucoup pour le partage les filles , très beau texte , empreint d'une grande émotion , et félicitations à Jolie pensée , c'est une perle ce texte ...! cool

    3
    Vendredi 29 Août 2014 à 19:24

    Quelle jolie plume inspirée toujours avec beaucoup de talent  !! Bravo !! 

    4
    Jolie pensée
    Samedi 30 Août 2014 à 20:29
    Merci beaucoup les filles. Comment ne pas être touchée à cœur par vos gentils messages comme Richard m'a touchée à cœur. Merci!


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